Saturne, évolution et involution
- Véronique Rauzy
- il y a 6 jours
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Dans la genèse de la théogonie grécoromaine, Saturne/Cronos représente une étape intermédiaire, décisive pour l’expérience de la Vie sur Terre.
Toute cette théogonie mythique nous dévoile le processus par lequel l’être humain accède à toujours davantage de conscience.
Le Titan Saturne/Cronos est le principe créateur d’un déroulé dans le temps, et de la possibilité d’une forme distincte.
En effet, ses parents Gaïa et Ouranos, la Terre et le Ciel, étaient jusqu’alors si étroitement fusionnés que leurs enfants : les Titans, Cyclopes et Cent-Bras, n’avaient pas d’existence propre, ils étaient enfouis dans le sein de leur mère.
C’est le principe fusionnel, correspondant à la vie intra-utérine, et aux tout premiers âges de l’enfance quand le bébé se sent encore un avec sa mère. La conscience est alors seulement embryonnaire.
Gaïa ressent la nécessité d’une évolution, pour permettre à ses enfants de vivre une existence propre. Elle crée alors une faux (ou une serpe) et exhorte ses enfants à émasculer leur père.
Seul Cronos/Saturne accepte de répondre à son désir.
Pourquoi émasculer Ouranos afin de l’éloigner ? Du point de vue de l’évolution de la conscience, il s’agit de faire sortir l’être humain des instincts de l’animalité, de la réactivité hormonale : l’émasculation représente l’acte symbolique de coupure de l’animalité, et Saturne/Cronos devient le nouveau Dieu (provisoire) en acceptant de commettre le premier crime.
Mais ce faisant, la théogonie nous indique que du sang répandu lors de la castration naissent les Érinyes/Furies, divinités vengeresses destinées à châtier les coupables de crimes. Et Saturne/Cronos est prévenu par son père et sa mère que son acte ne restera pas impuni : la culpabilité est née, avec les tourments de la peur qui en découlent. En cela on assimilera parfois Saturne à un « seigneur du karma ».
Il y a donc un double résultat contradictoire à son acte.
UN RÉSULTAT ÉVOLUTIF
Sous l’effet de la douleur intense, Ouranos se décolle de Gaïa. Le Ciel se décale vers le haut et l’atmosphère est générée : c’est la création de l’espace de l’existence, bande frontière viable, vivable, vivante, à la surface de la Terre : la juste distance défusionnelle permettant une expérience propre des formes et des choses. Les enfants de Gaïa ont enfin un terrain de jeu pour se vivre depuis leur forme propre et leur identité particulière.
C’est une ère primitive, chtonienne, élémentaire, jalonnée d’énormes combats entre les forces révélées, combats gagnés par les Titans qui refoulent leurs frères ennemis les Cyclopes et les Cent-Bras jusqu’au Tartare.
Cela représente le premier refoulement des monstres terribles, archaïques : des forces pulsionnelles intenses qui agitent l’être humain, dans la toute petite enfance.
C’est un aspect évolutif en ce que ce refoulement permet une zone de paix, de sécurisation, terreau possiblement fertile pour la conscience de soi.
UN RÉSULTAT INVOLUTIF
Mais simultanément, la conscience de la faute et la peur du châtiment conduisent Cronos/Saturne à un comportement pervers et involutif.
Depuis la certitude qu’il sera puni, il adopte une stratégie adaptative involutive : il choisit de dévorer ses propres enfants afin de repousser le moment inéluctable où il sera détrôné. Ce faisant il crée le temps linéaire, en repoussant le plus loin possible l’inéluctable chute. Et dévorant ses enfants nouveau-nés, il involue et reproduit le modèle de ses parents, en empêchant les descendants d’émerger en tant que formes propres.
Il symbolise alors une autorité totalitaire, paranoïaque, coincé dans le système de ses propres ascendants. Il représente l’assimilation du surmoi : l’intégration malgré soi du système parental comme cadre de référence quasi-absolu, avec ses récits, ses lois, ses tabous, et son obligation de loyauté.
UNE ÉTAPE STRUCTURELLE NÉCESSAIRE
C’est néanmoins une étape indispensable du parcours de la conscience. Saturne fait régner l’ordre en dedans. Il instaure un système, déploie une structure qui servira de socle à toute l’expérience.
Cela représente tout le système adaptatif de l’être humain, avec son cadre de référence, sa dynamique réactionnelle et défensive, ses tactiques de réponses, l’intériorisation de la sécurité et l’apprentissage des limites et de la frustration, inhérentes à ce monde contraint par les lois physiques.
Toutefois l’évolution ne s’arrête pas là. De nouveau Gaïa intervient, et demande à Rhéa, l’épouse de Cronos, de cacher le dernier nouveau-né, Zeus/Jupiter, afin qu’il échappe à l’engloutissement paternel.
Zeus/Jupiter représente la troisième génération, après Ouranos/Uranus et Cronos/Saturne. Le troisième âge du déploiement de la conscience, la conscience de surface. Il va faire vomir son père afin de libérer ses frères et sœurs, le détrôner dans une guerre sans merci et le refouler dans le Tartare à son tour (dans l’inconscient) et engendrer la multitude des formes : le développement de l’identité individuelle et collective, le déploiement de la personnalité dans ses différents aspects et l’éveil d’une conscience ouverte à l’élaboration des idées, à l’exaltation des vertus, au respect des principes divins.
Saturne/Cronos est donc le dieu provisoire, dont la mission est de nous structurer dans une architecture interne sécurisante qui est largement inconsciente, et qui a pour objet principal la conservation, la tentative de faire durer les choses et les formes le plus longtemps possible, par crainte de l’inéluctable chute. Et redoutant ainsi l’évolution comme facteur probable de la chute…
On voit là l’ambiguïté de Saturne/Cronos, parfois nommé le dieu retors ou tordu dans les mythes. Non seulement parce qu’il a tordu le temps pour nous faire accéder à l’illusion d’une linéarité chronologique, mais aussi parce qu’il est simultanément générateur et saboteur de l’évolution…
En cela on peut l’assimiler à la dynamique de gardien du Seuil. Saturne en nous s’oppose systématiquement au changement, tant que nous ne sommes pas pleinement prêt à ce changement. On peut le voir comme barrant la route, multipliant les empêchements, les résistances et les sabotages. Il nous met ainsi à l’épreuve de la détermination, et ce faisant nous renforce, jusqu’à ce que nous soyons suffisamment mûr et assuré pour le déloger de son espace de barre-chemin.
LUTTE DE POUVOIR VERSUS ALLLIANCE
Pour vivre sainement ces dynamiques, Saturne doit être apprécié et appréhendé comme un allié, et être soumis au Soleil en nous. Le Soleil dans la symbolique astrologique est notre feu vital, notre âme, notre Être, et doit être le véritable centre du pouvoir décisionnel.
Tous les autres astres doivent s’aligner autour de lui et servir son dessein, c’est l’œuvre de réalisation de notre thème astrologique unique.
Saturne tient le pouvoir, comme un gardien, tant que nous ne sommes pas prêt à assumer d’être un Soleil rayonnant capable du meilleur choix conscient à chaque instant. Il agit ainsi en amont de la conscience, en système interne puissant.
Notre Soleil doit comprendre et s’allier avec Saturne, c’est-à-dire que nous devons mettre de la conscience sur nous-même, comment on est structuré, c’est le fameux « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers les Dieux », et depuis le respect de cette structure en prendre peu à peu la maîtrise afin de lui faire révéler et réaliser ses potentiels.
Cela implique de s’accepter tel que l’on est et ne pas fantasmer être autre chose que ce que l’on est. Chaque structure humaine est unique, avec de très nombreux potentiels à révéler, actualiser, accomplir, mais qui sont différents, singuliers. L’acceptation de son originalité, de sa spécificité, de son individualité est cruciale afin de pouvoir honorer la vie et d’être en phase avec la période. L’astrologie nous le signale avec l’entrée de Pluton en Verseau qui va bouleverser complètement la structure saturnienne à tous niveaux (Saturne est le maître traditionnel du Capricorne ET du Verseau, il passe un cap évolutif entre les deux, symbolisé ici par la pression plutonienne qui impose les changements inexorablement et impitoyablement). Bouleversement que l’on voit se manifeste avec le passage de Saturne en Bélier, dans ce signe énergétique du renouveau.
Il va y avoir de forts changements structurels pour tous, individuellement et collectivement : ce qu’on peut appeler un cap évolutif. En chacun de nous, nous pouvons amener Saturne vers l’évolution en l’associant plutôt qu’en le redoutant ou qu’en le vivant comme un censeur et un saboteur : en lui permettant d’être le garant de la bonne marche à suivre, de la bonne temporalité, dans ses vertus de responsabilisation, fiabilité, tempérance, persévérance, sécurisation, liberté respectueuse : Saturne en Verseau.
Ainsi cela permet que Saturne déploie sainement ses qualités de gérant de la tenségrité du thème : il veille à la bonne marche des configurations zodiacales, au déploiement des mandalas du thème, à la circulation de l’énergie dans les différents aspects entre les archétypes astrologiques.
Connaître cet archétype et son mythe, ainsi que les autres archétypes de ce langage astrologique, nous aide à comprendre comment cela se répercute en nous, à capter les forces subtiles à l’œuvre dans les trames matricielles où circulent l’énergie et les informations, et ainsi à nous mettre en phase dans les flux.
La dynamique de l’alliance permet de vivre tout ce qui se présente en étant protagoniste, au niveau qui est le nôtre, dans toutes les interactions. Cela favorise le centrage et en correspondance le déploiement de notre Soleil de naissance.
La période est éprouvante pour beaucoup, entre incertitudes, anxiété, découragement, baisse d’énergie. Je vous invite à prendre le plus grand soin de vous et de vos proches, à faire jouer la solidarité et la compassion dès que vous en sentez la nécessité, à garder vos Cœurs ouverts et la connexion intérieure, et à vous allier avec les êtres et les principes qui vous correspondent et soutiennent la Vie, l’Amour et la Vérité. Nous sommes en début de mutation, et nous allons traverser pas à pas sur la ligne de crête vers un renouveau dont nous ignorons tout, en dedans comme en dehors. Plus nous serons congruents, présents, conscients, puissants et en lien avec toute Vie, plus ce passage sera facile.
Saturne comme archétype de la congruence a ici son meilleur rôle à jouer !
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